Qu’est ce qu’un point de deal ?
Un point de deal est un terme qui désigne un lieu de vente de drogues en public, généralement tenu par des trafiquants de stupéfiants. Selon la définition officielle du ministère de l’Intérieur, il s’agit d’« un lieu sur la voie publique où des trafiquants vendent quotidiennement des produits stupéfiants »
Autrement dit, c’est un point de vente clandestin de drogue à ciel ouvert, souvent bien identifié des clients et des forces de l’ordre. Ces points de deal se sont multipliés au fil des décennies pour répondre à la forte demande en stupéfiants (notamment en cannabis). La France compte en effet plusieurs millions de consommateurs de cannabis (environ 5 millions dont 1,4 million réguliers d’après l’OFDT) alimentant une véritable économie parallèle du trafic de drogue.
On estimait autour de 4 000 points de deal actifs en France en 2020, ce qui illustre l’ampleur du phénomène. Bien que totalement illégaux, ces lieux de vente illégale font désormais partie du paysage urbain de nombreux quartiers, en particulier dans les grandes agglomérations. Les autorités mènent donc une lutte constante pour démanteler ces points de deal, mais ceux-ci restent tenaces en raison des profits qu’ils génèrent et de la demande continue des consommateurs.
Qui fréquente ces points de deal et pourquoi ?
Les points de deal sont fréquentés par deux types de personnes principales : les vendeurs (trafiquants) et les acheteurs (consommateurs de drogue). Du côté des trafiquants, on retrouve toute une organisation de dealers et de petites mains du trafic. Ces personnes (souvent de jeunes hommes) « tiennent » le point de deal pour écouler la marchandise et en tirer profit. Ils le font parce que le trafic de drogue peut rapporter beaucoup d’argent – les points de deal les plus importants génèrent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros par jour.
Travailler sur un point de deal est perçu par ces jeunes comme un moyen de gagner rapidement de l’argent, parfois faute d’opportunités économiques légales dans leur quartier. Ils sont attirés par « l’argent facile », même si le risque (arrestations, violences) est élevé.
Du côté des acheteurs, les points de deal attirent des consommateurs de stupéfiants en quête de produits (cannabis, cocaïne, etc.). Ces clients fréquentent les points de deal parce qu’ils y trouvent un approvisionnement rapide et (relativement) fiable en drogue. Souvent, le bouche-à-oreille fait connaître les meilleurs points de vente en termes de qualité/prix. Par exemple, certains lieux de deal bien établis peuvent attirer jusqu’à 100 clients par jour et deviennent connus à l’échelle d’une région pour la qualité de la résine de cannabis ou les tarifs proposés.
Ainsi, les consommateurs – qui peuvent être des habitants du quartier ou des personnes venant de plus loin – s’y rendent pour acheter leur dose de stupéfiants de façon pratique.
En résumé, le point de deal existe pour qui ? Pour les trafiquants, il constitue un marché lucratif; pour les clients, il offre un accès direct aux drogues qu’ils recherchent. Malheureusement, ces allées et venues finissent aussi par affecter les riverains, qui subissent malgré eux la présence de cette activité illicite (nuisances, insécurité) sans y prendre part.
Comment fonctionnent les points de deal ?
Les points de deal fonctionnent de manière très organisée, presque comme une petite entreprise clandestine du trafic de drogue. Plusieurs rôles bien définis composent le réseau sur place :
- Les guetteurs (surnommés « choufs » en argot) surveillent en permanence les abords du point de vente. Leur mission est de repérer la police ou tout inconnu suspect et d’alerter le reste du groupe en cas de danger. Souvent postés à l’entrée d’une cité ou d’un immeuble, ou circulant à vélo/scooter, ils contrôlent les allées et venues et donnent l’alerte par des cris ou talkies-walkies dès qu’une patrouille approche. Ces jeunes guetteurs peuvent être mineurs et sont rémunérés pour faire le guet (par exemple autour de 80 à 100 € par jour, voire plus, pour de longues heures de faction).
- Les vendeurs (appelés parfois « charbonneurs » en argot) sont ceux qui échangent la drogue contre l’argent avec le client. Souvent le visage masqué (cagoule, capuche) et porteurs de gants pour ne pas laisser d’empreintes, ils opèrent directement la transaction. Par mesure de précaution, le vendeur n’a sur lui qu’une quantité limitée de produit (quelques dizaines de grammes) pour minimiser les pertes en cas d’arrestation. Le reste du stock est dissimulé à proximité, parfois chez une « nourrice » (personne qui garde la drogue dans un appartement ou une cache). Le vendeur peut travailler sur un pallier d’immeuble, dans une cage d’escalier, un hall ou un coin de rue discret. Par exemple, dans un point de deal localisé dans un immeuble, le vendeur pouvait se tenir entre deux étages, avec une banane contenant la marchandise, tandis que les clients montaient tour à tour pour déposer l’argent et prendre leur sachet laissé sur une marche d’escalierlemonde.fr. Ce mode opératoire limite les contacts physiques et facilite un flux rapide de clients.
- Les rabatteurs : parfois, un membre du réseau fait office de rabatteur ou d’intermédiaire à l’entrée du point de deal. Son rôle est d’orienter les clients vers le lieu exact de la vente (surtout si le vendeur est un peu caché) et de filtrer les nouveaux venus. Il aide à fluidifier le trafic en indiquant aux acheteurs où aller et en confirmant s’ils sont des habitués ou nonlemonde.fr.
- Les approvisionneurs (parfois appelés « ravitailleurs ») : ce sont ceux qui réapprovisionnent le point de deal en marchandise et en argent. Régulièrement, ils apportent de nouvelles doses de drogue au vendeur depuis la cache ou la base logistique, et récupèrent la recette accumulée pour la mettre en lieu sûr. Cela permet de ne jamais manquer de produit à vendre et de ne pas laisser trop d’argent sur le point (pour éviter qu’il ne soit saisi en cas de descente de police).
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En plus de ces rôles visibles sur le terrain, il y a souvent un gérant ou chef de réseau en coulisses, qui supervise plusieurs points de deal d’un secteur. Ce chef organise les tours de garde, recrute les petites mains, gère l’approvisionnement global (en lien avec des fournisseurs plus haut placés) et collecte les profits. L’organisation est donc hiérarchisée (chefs, lieutenants, vendeurs, guetteurs, nourrices…) un peu comme une PME criminelle. Chaque individu connaît sa tâche précise et les règles à suivre (discrétion, codes de communication, cachettes, etc.). Les horaires de travail sont souvent longs – certains points de deal tournent en continu par roulements d’équipes, avec des « shifts » de 8 à 12 heures par personne
Les trafiquants adoptent de nombreuses mesures pour déjouer la police : signalements codés (“Ara! Ara!” crient les choufs marseillais pour dire « Attention !», surveillance des voitures banalisées connues, fouille des clients suspects, utilisation de téléphones prépayés, etc.
Le point de deal fonctionne ainsi de façon quasi-militaire pour écouler la drogue tout en évitant les arrestations.
Où se trouvent généralement les points de deal ?
Les points de deal se situent majoritairement dans des zones urbaines densément peuplées, en particulier dans les quartiers dits sensibles ou à forte concentration de logements sociaux. Ce sont souvent des endroits offrant un certain anonymat et des possibilités de repli pour les trafiquants : au pied des immeubles, dans les halls ou cages d’escalier des tours d’habitation, sur les parkings d’une cité, dans une rue peu passante d’un quartier périphérique, etc. L’important pour les dealers est d’avoir un territoire qu’ils peuvent contrôler : une entrée d’immeuble avec une seule voie d’accès (facile à surveiller), ou une petite place carrée entourée de bâtiments, voire un terrain vague isolé à la lisière d’un quartier. Ils cherchent un lieu où la configuration des lieux leur donne l’avantage (visibilité des arrivées, possibilités de cacher drogue et argent, sorties de secours pour fuir). Souvent, les habitants du quartier connaissent ce lieu de deal “par habitude”, car il est occupé jour après jour par le réseau. Par exemple, telle cage d’escalier dans un bâtiment HLM peut devenir un supermarché du cannabis tous les soirs de la semaine.
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Géographiquement, on retrouve des points de deal dans toutes les grandes villes de France (Paris et sa banlieue, Marseille, Lyon, Lille, Toulouse, etc.), mais aussi de plus en plus dans des villes moyennes. Les régions les plus touchées correspondent aux grands bassins urbains : l’Île-de-France, le pourtour méditerranéen (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie), la région Rhône-Alpes, le Nord… Ces zones concentrent la population et donc la demande, expliquant la présence de nombreux points de vente de stupéfiants.
Cela dit, aucun secteur n’est totalement épargné : même dans des petites villes ou zones rurales, on peut trouver des points de deal actifs, surtout si elles sont situées sur des axes de trafic ou proches de quartiers résidentiels où vivent des consommateurs. En banlieue, certains points de deal profitent d’emplacements stratégiques, par exemple près des grands axes routiers, permettant un système de “drive” où les clients peuvent acheter depuis leur voiture rapidement.
Cette configuration a pu être observée à Marseille, où des cités limitrophes d’autoroutes accueillaient un trafic presque en mode drive-in. Enfin, les points de deal peuvent aussi se trouver aux abords de lieux fréquentés par les jeunes (sortie de métro, parcs publics), bien que la plupart du temps les trafiquants préfèrent des endroits qu’ils maîtrisent et où le voisinage – souvent impuissant – tend à tolérer par contrainte cette activité.
Quand et comment se développent les points de deal ?
Quand ce phénomène des points de deal a-t-il émergé ?
La vente de drogue en public existe depuis longtemps (dès que la prohibition des stupéfiants a créé un marché noir, des ventes informelles ont eu lieu). En France, dès les années 1980-1990, avec l’essor de la consommation de cannabis dans les quartiers populaires, on a vu se structurer des réseaux de vente de rue dans certaines cités. Ce qui était au départ quelques vendeurs isolés est devenu plus organisé et ancré localement. Au fil des décennies 2000 et 2010, le nombre de points de deal a augmenté parallèlement à l’augmentation du nombre de consommateurs de drogues illicites un peu partout sur le territoire.
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Des places fortes du trafic se sont établies dans certains quartiers connus (par exemple les quartiers nord de Marseille, certains ensembles de Seine-Saint-Denis, etc.), souvent tolérées de fait pendant des années faute de solution durable.
Un point de deal se développe là où il y a une demande locale et un terrain propice.
Concrètement, comment un nouveau point apparaît-il ?
Souvent, un réseau de trafiquants identifie un lieu où les clients potentiels sont nombreux (une cité sans point de vente attitré, ou un quartier de centre-ville avec une population consommatrice). Ils vont alors “investir” le terrain, c’est-à-dire envoyer des vendeurs s’y poster discrètement au début, pour tester le marché. Si la clientèle répond présente, le point de deal s’installe de façon plus visible : présence quotidienne, mise en place de guetteurs, etc. Parfois, l’implantation d’un nouveau point donne lieu à des conflits avec d’autres trafiquants concurrents qui revendiquent le secteur. Des règlements de comptes violents peuvent survenir si plusieurs bandes veulent contrôler la même zone de chalandise (on l’a vu à Marseille où des gangs se disputent le contrôle des cités lucratives). Lorsqu’un point de deal est démantelé par la police, il peut réapparaître quelques jours plus tard au même endroit ou à proximité, si le réseau parvient à se reconstituer ou qu’un autre prend la relève. C’est un phénomène de déplacement : la suppression d’un point ne fait souvent que déplacer le problème ailleurs tant que la demande subsiste.
On observe aussi une diffusion vers des zones jusqu’alors épargnées : ainsi, des villes moyennes ou des quartiers périphériques calmes voient apparaître des points de deal alors qu’ils n’en comptaient pas auparavant, signe que le trafic cherche toujours de nouveaux débouchés. Les trafiquants sont très inventifs et adaptatifs : s’ils subissent la pression policière sur la voie publique, ils peuvent changer de méthodes (vente par réseaux sociaux, livraisons à domicile, rendez-vous éphémères) comme on le détaillera dans l’évolution du phénomène.
Au quotidien, quand fonctionnent les points de deal ?
La plage horaire dépend de la discrétion nécessaire et des habitudes locales. Beaucoup de points de vente de cannabis ouvrent principalement en fin d’après-midi et soirée (par exemple de 17h à minuit), car c’est à ce moment que les clients sortent du travail ou de cours et viennent acheter. D’autres, notamment dans les zones très fréquentées, opèrent toute la journée voire 24h/24 avec des équipes de nuit et de jour qui se relaient.
Les week-ends peuvent être des périodes de forte activité (plus de clients qui consomment lors de leurs loisirs). Certains réseaux adaptent aussi leurs horaires en fonction des rondes de police (ouvrant après le passage habituel des patrouilles, etc.). Ainsi, le “quand” est flexible : tant qu’il y a des clients disponibles, le point de deal cherche à être ouvert. Pendant les périodes exceptionnelles comme les confinements COVID en 2020, l’activité des points de deal a été freinée (moins de monde dehors), ce qui a poussé le trafic à se réorganiser : commande par téléphone, livraisons, etc. Depuis, la part des transactions passant par un point fixe aurait diminué (on estime qu’environ 30% des achats de drogues se font encore via des points de deal, soit une baisse due à l’essor de la livraison à domicile et des contacts en ligne).
Cela montre que le phénomène des points de deal évolue en permanence en fonction du contexte.
Impacts des points de deal et évolution du phénomène
Les points de deal ont des impacts multiples sur la société et les quartiers concernés. D’un point de vue local, la présence d’un point de vente de drogue à ciel ouvert génère souvent un sentiment d’insécurité pour les habitants. Les allées et venues constantes de consommateurs et dealers, parfois à toute heure, s’accompagnent de nuisances (attroupements dans les halls, bruit, dégradations) et peuvent intimider les riverains. Certaines cités vivent ainsi au rythme du trafic, ce qui dégrade la qualité de vie et le climat social sur place. On parle de quartiers « tenus » par les dealers, où les habitants se sentent dépossédés de l’espace public. Dans les cas extrêmes, les trafiquants installent des barricades ou contrôlent les entrées d’un immeuble pour se prémunir des intrusions policières, transformant le quartier en place forte du deal.
Un autre impact majeur est la violence liée à ces trafics. Les points de deal étant très lucratifs, ils attisent des convoitises et rivalités entre bandes de trafiquants. Cela peut conduire à des affrontements armés pour le contrôle d’un territoire de vente. Par exemple, la ville de Marseille a connu une guerre des gangs sanglante dans ses cités : en 2023, on y a déploré 49 homicides liés aux règlements de comptes du narco-banditisme
Des groupes criminels s’affrontent pour dominer les points de deal les plus rentables – certains rapportant jusqu’à 50 000 € par jour chacun.
Ces conflits exposent également la population à des balles perdues ou à la peur au quotidien. Plus tragiquement, de très jeunes acteurs du trafic en sont victimes : on a vu des adolescents guetteurs tués lors d’attaques contre un point de deal rival.
Cette violence endémique est un véritable défi pour les pouvoirs publics et renforce la détermination à démanteler ces réseaux.
Sur le plan économique et social, les points de deal entretiennent une économie souterraine florissante. Ils permettent à toute une chaîne d’individus de tirer des revenus illicites (du simple chouf payé quelques dizaines d’euros par jour, jusqu’aux chefs de réseau qui blanchissent des millions). Cela peut créer une forme d’attraction pour la jeunesse des quartiers défavorisés, qui voient dans le deal une alternative (dangereuse) pour gagner de l’argent rapidement. Ce phénomène participe au maintien de trafics dans certaines zones où se mêlent chômage élevé et échec scolaire, renforçant un cercle vicieux de marginalisation. De plus, l’argent généré alimente souvent d’autres activités criminelles (achat d’armes, corruption, etc.), propageant l’influence de la délinquance.
L’évolution du phénomène des points de deal ces dernières années montre toutefois quelques tendances. D’un côté, les autorités intensifient leurs efforts pour éradiquer les points de deal connus : opérations policières coup de poing, surveillance accrue, coopération avec les polices municipales et la justice. Le gouvernement français a lancé des plans tels que le plan « Stups » visant à harceler quotidiennement les lieux de trafic. Des centaines de points de deal sont ainsi démantelés chaque année (par exemple 719 points démantelés sur 3952 recensés en 2021, soit environ 20% de réduction).
La technologie est également mise à contribution : des caméras de surveillance sont installées, une plateforme de signalement en ligne des points de deal a été créée en 2021 pour encourager les citoyens à informer anonymement les autorités, etc. L’objectif est de désorganiser les trafics, saisir les drogues et l’argent, et reconquérir les territoires perdus.
D’un autre côté, les réseaux de trafiquants s’adaptent à cette pression. On assiste à une certaine « ubérisation » du trafic de drogue, plutôt que de dépendre uniquement d’un point de deal fixe, visible et vulnérable, de plus en plus de dealers utilisent les réseaux sociaux, messageries cryptées et livraisons à domicile pour vendre leurs produits. Des commandes peuvent se prendre par Snapchat, WhatsApp ou Telegram, puis un coursier apporte la drogue directement chez le client ou dans un lieu discret de rendez-vous. Ce mode opératoire, développé pendant les confinements, perdure car il réduit les risques d’interpellation en flagrant délit sur un point de rue. En 2022, la police estimait que les réseaux sociaux concurrençaient fortement les points de deal physiques.
Néanmoins, tous les clients n’ont pas accès à ces contacts numériques et beaucoup continuent de se fournir sur les spots de vente traditionnels, en particulier pour le cannabis dans les quartiers. Ainsi, l’évolution du phénomène voit cohabiter le point de deal classique (qui reste encore la norme dans bien des cités) et de nouvelles formes de trafic plus diffuses. Il est possible que dans le futur, la part des deals “en ligne” augmente encore, ce qui pourrait réduire le nombre de points de deal visibles. Mais pour l’instant, ces lieux de vente directe demeurent un enjeu central de la lutte antidrogue.